Le temps efface les exquises d’impression à l’horizon, mais il suffit de revenir pour se rappeler. La première chose qui m’avait frappée la première fois, et cette fois encore, fut l’influence économique des Etats-Unis aux environs de la capitale, et encore plus dans le nord du pays.
Où que tu ailes, quoi que tu fasses, on te pousse à la consommation. A tous les coins de rues, des petits marchands te proposent des boissons fraiches, des tacos, des éplucheurs de légume, des téléphones portables, des kits d’écriture, des produits de beauté, des glaces, des bonbons, des rouleaux de scotch, des CDs et des DVDs téléchargés, des services de cirage de chaussure, les taxis te klaxonnent pour que tu grimpes dedans, des mecs te crient dans les oreilles pour que tu prennes un bus… Jusque dans le métro ou dans les autobus, où on te vend n’importe quoi à la criée « Diez pesos te vale, diez pesos te cuesta ! ». Puis, il y a ces restaus à l’américaine où les serveurs t’en proposent toujours plus, sans arrêt. Dans le centre, des immenses panneaux publicitaires tentent de te mettre l’eau à la bouche. Un porte-monnaie ambulant, un ventre sur pattes, voilà à quoi réduisent la conjonction de la surpopulation, du chômage et de la débrouille.
Le constat est d’autant plus flagrant lorsque dans l’avion, tu viens de lire un article du Monde Diplo de septembre qui fait le point sur la société moderne et ses aspirations à l’obésité. Au Mexique, il y 70% de personnes en surpoids et 30% d’obèses. Pour ce qui est du sport, il ne faut pas compter dessus : les distances sont trop grandes pour se déplacer à pied et les routes sont trop dangereuses pour les vélos. Alors ça passe des heures dans les transports en commun et ça dépense à défaut de se dépenser.
Le second constat en revanche est positif. Il traite de la population en elle-même. Je sais, ça sonne déjà comme un cliché, mais tant pis, j’ai l’impression que cela est réel.
Ici, la notion du temps est différente : c’est l’incertitude qui domine dans le « tiempo mexicano ». La combinaison de l’insécurité, qui remet en question les statistiques d’espérance de vie, et du temps perdu à cause de la désorganisation, qui te donne l’impression de ne jamais pouvoir rien maîtriser, ont fait des habitants de ce pays des hommes plus spontanés, plus humbles – bien sûr, c’est une généralité, il y a des cons partout comme chacun sait. Mais ici, on prend le temps pour un sourire, pour un service, pour parler de rien, pour raconter sa vie, pour partager une cigarette, même avec des inconnus. Alors qu’en France si tu parles à un inconnu, on se méfie, on te catégorise avec les « bizarres ». Si tu proposes un service, on le prend tout de suite comme un affront à ta fierté… Au Mexique, l’hospitalité, l’entre-aide, le partage semblent bien plus naturels dans la vie quotidienne.
Cela fait que dans cette ville d’environ 23 millions d’inconnus, même en tant que minorité « guera » (blonde et blanche – descendante de cruels colons), je me sens moins seule que dans mon petit hameau Thononais où certaines de tes connaissances tournent la tête de l’autre côté à mon passage, sans même que je ne sache pourquoi.